Verra-t-on La République du Canada?

Montréal – Suite à la tournée du Duc et de la Duchesse de Cambridge dans les Caraïbes qui a eu lieu durant mars 2022, celle-ci démontre à quel point le concept du Commonwealth peut sembler démodé.

Cette tournée laissa un goût amer chez plusieurs personnes.

Depuis le mois de décembre 2021, la Barbade est officiellement devenue une république et elle  fait d’une pierre, deux coups en ne faisant plus partie du Commonwealth.

Un pays comme la Barbade dont l’esclavage est associé à la colonisation avait fort probablement un désir de devenir une république beaucoup plus forte qu’un pays comme le Canada. Bien qu’il ait eu aussi de l’esclavage et de l’exploitation des personnes noires au Canada, une bonne proportion des canadiens sont des descendants de colons britanniques et non des descendants d’esclaves noirs. Par contre, il ne faut pas oublier que nous avons également des descendants français et autochtones avec un moins grand attachement à la monarchie britanniques que des descendants britanniques.

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J’ai eu la chance de discuter il y a quelques semaines avec deux experts en matière de politique constitutionnelle canadienne vu que afin de m’inspirer à écrire une suite à mon article du 7 mars 2021.

Simon Dabin, Docteur en science politique spécialisé en études autochtones et en politique québécoise et canadienne et Martin Papillon, Professeur agrégé au département de science politique à l’Université de Montréal.

Devenir une république, est-ce possible?

Je retourne avec l’exemple de la Barbade qui est un plus petit pays (sans provinces et ni territoires) que le Canada et qui a pu réaliser un divorce à l’amiable avec le royaume britannique.

Est-ce que le Canada pourrait décider un jour de devenir une république et de sortir du Commonwealth?

Je ne pense pas que ça puisse être aussi simple que ça pour plusieurs raisons, et nos deux experts sont du même avis.

Disons qu’il y a plusieurs enjeux dont:

  1. La constitution canadienne;
  2. La présence de plusieurs provinces royalistes telles que l’Ontario et la Colombie-Britannique;
  3. L’unanimité de toutes les provinces pour que le Canada devienne une république. Chose qui semble impossible (rappelons-nous de l’accord du Lac Meech);
  4. Si jamais toutes les provinces réussissaient à se mettre d’accord (je joue à la loterie), chacune d’elles sortira sa longue liste d’épicerie avec de nombreuses conditions.

Simon Dabin: En soi, officiellement, le Canada est déjà indépendant. D’une certaine manière, c’est clair qu’il est toujours dans le Commonwealth. Mais officiellement, il est indépendant. Et d’ailleurs, tous les pays du Commonwealth le sont depuis 1930.

Et là, par exemple, le Canada a mis extrêmement longtemps à se doter d’une constitution, ou plutôt même plus spécifiquement de sa mesure, pour changer sa constitution, pour modifier sa constitution, puisqu’il a fallu attendre jusqu’en 1982 pour ça. Dans l’absolu, le Canada pourrait très bien devenir une république, même s’il y a des enjeux institutionnels et constitutionnels extrêmement importants à discuter. Effectivement, ça supposerait une modification de la constitution qui supposerait l’unanimité de toutes les provinces sur cette question.

En lisant ce paragraphe, ça semble presque une mission impossible.

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Simon Dabin: Dans un monde utopique, c’est clair que dans l’absolu, c’est possible au Canada (de devenir une république). Mais c’est vrai qu’il y a un attachement historique et sociologique dans le Canada anglais qui est quand même très important et notamment historique. 

 Martin Papillon: je pense que tu as un peu la réponse. En fait, c’est que les trois éléments que tu as donnés sont des éléments qui nous permettent de répondre. 

En fait, est-ce que ça serait une possibilité?

Oui, en théorie, mais en pratique, pragmatiquement, il faudrait d’une part qu’il y ait une volonté politique assez forte pour que ça se fasse. Une volonté politique que je ne vois pas vraiment présentement au Canada. 

Ça pourrait changer, évidemment, mais pour l’instant, il n’y a pas cette volonté politique. 

Je dois reconnaître qu’il est vrai que, présentement, ce n’est pas une volonté politique. Par contre, une fois de temps en temps, un brin de volonté politique peut se présenter ( on n’a qu’à penser à la controverse autour de la gouverneure générale Julie Payette et les folles dépenses de la gouverneure générale Michaëlle Jean). 

Martin Papillon: Avec la controverse autour de la gouverneure générale Julie Payette, il y a eu un petit débat, mais ça n’a pas duré très longtemps. Et quand la nouvelle gouverneure générale, Mary Simon, a été nommée au Québec, il y a eu encore un petit débat. Parce qu’elle ne parle pas français, mais en gros, ces débats là, ils viennent, ils disparaissent. 

Je ne vois pas ce serait quoi l’intérêt d’un politicien au fédéral de se lancer dans une campagne pour faire du Canada une république, de se retirer du Commonwealth dans le contexte actuel, notamment parce que politiquement, ce n’est pas très populaire, mais aussi parce que, comme tu le dis, il y a plein d’obstacles, il y a des obstacles au niveau constitutionnel. 

Puis, si j’étais conseiller d’un premier ministre ou même d’un leader de parti, je dirais touche pas à ça. D’autres priorités? Il y a d’autres choses qui touchent les gens plus que ça. Ça, ce n’est pas quelque chose d’important. 

Nos deux experts ont la même conclusion en bout de ligne. Ce n’est pas une mission impossible, mais ça ne vaut pas la peine présentement de se lancer dans cette bataille quand il y a d’autres préoccupations un peu plus urgentes.

Si on voulait faire un Canada une république, voici les étapes à suivre:

  1. Il faut ouvrir la constitution; 
  2. Je n’ose même pas à énumérer les autres étapes.

Déjà en écrivant cette phrase, je fixe mon pot de Tylenol extra-fort.

Cela m’amène à poser cette question:

Est-ce qu’on peut changer la constitution?

Est-ce possible?

Simon Dabin: C’est quasiment impossible. Ou alors, ce serait vraiment l’occasion de rouvrir la Constitution et de débattre, de faire un grand débat. On pourrait très bien avoir un Premier ministre, qui décide de faire un grand débat constitutionnel sur le Canada, où ce serait l’occasion effectivement, d’avoir enfin les autodéterminations autochtones d’un bord, les aspirations québécoises de l’autre, les aspirations de l’Ouest canadien de l’autre aussi. Et là, effectivement, ce serait une belle occasion de redéfinir ce Canada là et ses institutions.

Un point important que Simon Dabin ajoute est qu’on entend de plus en plus les voix autochtones dans notre société.

C’est ce qui est très difficile dans notre pays le consensus. 

Honnêtement, si on décide de rester dans le Commonwealth, quel avantage avons-nous?

Pour Simon Dabin, la réponse fut assez très courte: En vérité, pas grand chose.

Il ajoute: C’est effectivement une une alliance diplomatique qui fait que ces pays se réunissent lors des grandes réunions du Commonwealth

Mais qu’est-ce qu’on y gagne, alors que le plus grand allié du Canada est les États-Unis?

Le rôle du double G

Ah oui, le scandale de la gouverneure générale Julie Payette et, dans le passé, les dépenses exubérantes de la gouverneure générale Michaëlle Jean. 

Adrian Wyld/The Canadian Press

On s’entend que le rôle de la gouverneure générale se limite à déclencher les élections et représenter la reine durant différentes cérémonies. 

Simon Dabin: Mais à l’époque de la démission de Julie Payette, on s’est rendu compte que la personne qui remplace, avant la nomination d’un nouveau gouverneur général,  c’est le président de la Cour suprême. Donc c’est comme un chef d’État avec un pouvoir judiciaire. Enfin bon, c’est une confusion totale, même si effectivement c’est un rôle extrêmement symbolique et qui ne sert pas à grand chose en vérité.

Martin Papillon: On l’a vu avec avec le choix de Mary Simon, qui est un choix symbolique important. Et donc ce n’est pas juste une figure qui s’efface et qui signe les décrets, qui signe les lois et qui reçoit le Premier ministre quand il y a besoin de déclencher des élections, et qui s’occupent des cérémonies protocolaires, etc. 

Il y a évidemment ça dans le rôle du gouverneur général. Mais là, on voit qu’il y a aussi un rôle d’incarner la nation, un peu comme ailleurs, comme le président le fait dans les régimes présidentiels ou, dans les régimes monarchiques, le roi ou la reine. 

Il y a une volonté de donner un peu plus de substance symbolique à ce rôle là. Ce n’est pas inintéressant, ce n’est pas. Une mauvaise idée. Évidemment, c’est sujet à controverse parce qu’on ne peut pas satisfaire tout le monde. Quand on cherche à incarner la nation, on laisse de côté certains points de vue.

Comme on l’a vu avec Mary Simon, on a lancé un message fort auprès des autochtones et aux gens qui sont sensibles à cette cause.

God Saves the Queen

(Photo by The Print Collector/Getty Images)

Parlant de stabilité, de notre vivant et j’inclus celui de mes parents, nous avons connu la reine. Il y a un sentiment de stabilité pour certains et certaines avec cette longévité. Avec stabilité vient le mot attachement. Ces sentiments sont encore plus présents pour des pays comme le Canada pour des raisons que j’ai énumérées plus tôt dans cet article. Pourquoi par exemple La Barbade a dit merci bonsoir à la famille royale britannique? 

Je me suis aventurée en posant cette question à Simon et à Martin.

Simon Dabin: Il y a des débats sur le sujet, même en Angleterre. Moi, j’ai lu des constitutionnalistes britanniques, par exemple, qui considèrent que ce qui maintient la monarchie même au Royaume-Uni aujourd’hui, c’est la reine. C’est que ce personnage est presque iconique et historique. On a l’impression qu’elle a toujours été là et qu’elle va toujours être là. Des constitutionnalistes britanniques pensent que la monarchie n’est populaire que grâce à elle.

Surtout que le prince Charles est beaucoup moins populaire que sa mère. Donc le sentiment d’appartenance à la monarchie britannique pourrait baisser au moment où le prince Charles devient roi. Mais ce qui est vraiment fascinant au Canada, c’est que, à ma connaissance, il y a eu très peu de débats à ce sujet (république). Oui, amené par le Québec, évidemment, par les Patriotes en leur temps et également par un certain nombre de Canadiens anglais au début du XXe siècle.

C’est vrai qu’il ne faut jamais oublier que historiquement, en dehors des francophones, le Canada a été créé par les loyalistes. C’est ça qui change énormément de choses historiquement et sociologiquement. Le Canada, en tout cas pour les anglophones, a été créé par les gens qui refusaient la révolution américaine.

Martin Papillon partage le même opinion de Simon:

Martin Papillon: Ce n’est pas un problème. Il n’y a pas ce sentiment d’insécurité par rapport à la Couronne britannique au Canada, comme il y a déjà eu dans le passé. Donc, ce n’est pas un sujet politique qui me semble faire des vagues, sauf auprès des gens qui veulent défendre la monarchie.

Il y a quand même un attachement à la monarchie britannique au Canada, y compris au Québec, quoique moins fort, mais qui est quand même présent. Et donc, au contraire, je dirais que les gens les plus mobilisés, vont défendre la monarchie plutôt que de défendre une vague idée de République qui n’est pas très bien définie finalement. 

D’autant plus que si on remplace la monarchie britannique, il faudrait la remplacer par quelque chose d’autre. Il faudrait un gouverneur général ou un président de la république. Là se pose la question : est-ce que c’est quelqu’un qui aurait un pouvoir politique ou pas? Ou serait-ce simplement, comme dans certains régimes parlementaires, quelqu’un aurait une fonction régalienne, un peu comme la reine finalement. 

Donc, finalement, on changerait, on changerait ‘’quatre trente-sous pour une piastre’’.

Mais quelle est l’intérêt pour l’interrogation?

S’interroger? 

Depuis quelques temps, de plus en plus de personnes s’interrogent suite au désastre de la tournée du couple Cambridge dans les Caraïbes et au scandale du Prince Andrew.

Le prince Charles est moins populaire que la reine. Par contre, dans certains enjeux environnementaux, il est un petit peu plus pragmatique. Les jeunes d’aujourd’hui s’attachent un peu moins à la monarchie. Ça pourrait peut-être éveiller d’autres questionnements.

Martin Papillon:  Pour que ça change quelque chose qu’il faudrait qu’il y ait soit un réel avantage politique ou que le futur monarque commence à faire des imbécillités.

Quand il y un changement de monarque, il y a toujours un débat.

Un peu comme ici, à chaque changement de génération, il y a un questionnement qui opère. Évidemment, je suis convaincu qu’au Royaume-Uni, c’est un peu la même chose.

La popularité de la famille royale fluctue et ce débat va sans doute avoir lieu aussi au Canada. Mais je pense encore une fois que pour qu’il y ait une véritable remise en question de notre attachement au Commonwealth, il faudrait que le prochain monarque joue très mal ses cartes et s’aliène la population. 

En 2022, est-ce que la photo que vous voyez a encore sa place dans notre société?

Picture: Getty/Photo by Pool/Samir Hussein/Wirelmage

Est-ce que démontrer encore un esprit de colonisation a encore sa place dans notre société?

Photos: Chris Jackson-Pool/Getty Images

J’ai ma réponse personnelle à ces deux questions et vous, quels sont vos réponses?

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